La typologie du surendettement

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TYPOLOGIE DES SURENDETTES ET TRAITEMENT DU SURENDETTEMENT D’APRES L’ENQUETE REALISEE PAR LA BANQUE DE France EN 2001

Le dispositif de traitement du surendettement a été mis en place à la fin de l ‘année 1989 par la loi couramment dénommée loi Neiertz, du nom du secrétaire d’Etat à la Consommation à l’origine de sa promulgation. Le mécanisme mis en place faisait intervenir les commissions de surendettement chargées d’élaborer des solutions négociées dans le cadre de procédures de règlements amiables et les juges qui, à défaut d’accord devant les commissions pouvaient être saisis par les débiteurs d’une demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire civil.

Cette loi est entrée en vigueur en mars 1990 et la Banque de France assure, depuis lors, le secrétariat de l’ensemble des commissions de surendettement opérant sur le territoire métropolitain.

Le surendettement avait été à l’origine considéré comme un phénomène temporaire – lié à un usage imprudent du crédit – mais il s’est pérennisé et le nombre de dépôts de dossiers a connu une progression constante d’année en année, avec toutefois une baisse en 2001.

Le dispositif de traitement du surendettement a été revu une première fois en 1995 pour donner un rôle plus important aux commissions en leur permettant, en cas d’échec de la négociation amiable, de préconiser elles-mêmes des plans de redressement soumis à l’homologation des magistrats.

Un second réaménagement du dispositif a été opéré en 1998 par la loi relative à la lutte contre les exclusions qui a apporté un certain nombre d’améliorations à la procédure et qui a doté les commissions de nouveaux pouvoirs en vue de traiter, de manière plus adéquate, les dossiers difficiles.

Si l’on a, grâce au suivi qui est effectué, une parfaite connaissance de l’activité des secrétariats des commissions, on ne disposait pas, en revanche, d’informations de nature qualitative sur la typologie des surendettés et sur le traitement du surendettement.

A la demande du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, la Banque de France a donc réalisé au cours des 2e et 3e trimestres 2001 une importante enquête sur le traitement du surendettement dont l’objectif était double :

– il s’agissait, en premier lieu, d’avoir une meilleure connaissance de la nature et de l’origine des phénomènes de surendettement afin d’apprécier si le dispositif était adapté pour les combattre ;

– il s’agissait, en second lieu, d’examiner les conditions d’application du dispositif par les commissions et notamment l’impact de la loi contre l’exclusion entrée en vigueur en 1999.

L’enquête a été réalisée à partir d’un échantillon constitué sur la base des dossiers présentés à deux séances consécutives de l’ensemble des commissions de surendettement entre le 9 avril et le 8 juin 2001. Ceci représente environ 6.000 dossiers soumis à recevabilité, près de 6.200 plans amiables et 2.400 recommandations, soit un total d’environ 14.600 dossiers analysés.

Tous les secrétariats de commissions de surendettement gérés par la BdF ont participé à l’enquête. Les résultats ont d’abord fait l’objet d’une agrégation régionale, puis ont été intégrés au niveau national. Un certain nombre de contrôles indispensables de cohérence ont été réalisés au cours de la période d’été. Les données recueillies ont ensuite été dépouillées, analysées par la Direction du Réseau de la Banque de France.

Les principaux résultats de cette enquête sont présentés ci-après.

1- Profil sociologique du surendetté

On constate tout d’abord qu’une forte majorité (58%) des débiteurs surendettés sont célibataires, divorcés, séparés ou veufs. Cette catégorie est en forte augmentation puisque, dans une précédente enquête réalisée en 1990, la proportion des personnes vivant seules n’était que de 30%. La forte progression du nombre de célibataires surendettés, qui sont aujourd’hui trois fois plus nombreux qu’en 1990, expliquent pour partie, cette prépondérance.

Ensuite, l’enquête fait ressortir que 57.5% des surendettés ont au moins un enfant à charge. Cette proportion est sensiblement identique à celle constatée dans la population française, avec cette différence que le nombre de couples y est plus importants. Cela suggère donc que l’on a, parmi les surendettés, une part importante de familles monoparentales.

On observe également que l’âge de la majorité (56%) des débiteurs surendettés est compris entre 35 et 55 ans. A cet égard il n’y a pas eu d’évolutions très sensibles depuis 1990 où cette classe d’âge regroupait majoritairement les débiteurs surendettés. L’évolution concerne essentiellement les personnes de plus de 55 ans dont la part augmente de 6%. Il faut noter également que la population âgée de moins de 34 ans représente 31.4% des dossiers sont seulement 27.7% en 1990 et les moins de 25 ans augmentent également sensiblement, passant de 1.2% à 5 % au cours de la même période.

Une forte majorité (55%) des surendettés relève de la catégorie ouvriers ou employés qui représente seulement 30% de l’ensemble de la population française. Par ailleurs, 32% des déclarants sont chômeurs ou inactifs.

L’enquête montre que les commissions de surendettement ont affaire à un nombre prépondérant de débiteurs à faibles revenus. Dans environ 72% des dossiers, les revenus sont inférieurs à 10.000 francs, pourcentage en augmentation depuis 1990 où cette tranche de revenus concernait 60% de l’ensemble. Dans 42% des dossiers, les ressources sont inférieures ou égales au SMIC. Néanmoins, on constate que la part des débiteurs percevant le RMI est faible, soit environ 5%, du fait sans doute de leur faible accessibilité au crédit.

Les principales ressources des débiteurs surendettés sont, par ordre décroissant d’importance : le salaire, les allocations logements et les allocations familiales ; elles représentent globalement plus des 2/3 des différents types de ressources déclarés par les débiteurs. Un examen plus approfondi des résultats de l’enquête permet également d’observer que, dans 57% des dossiers, un seul type de ressources est recensé. Dans la moitié des cas, il s’agit du salaire.

D’une manière plus générale, les surendettés disposent de peu de patrimoine. Seulement 14.6% d’entre eux sont propriétaires d’une résidence principale, et 57.3% de ces résidences sont évaluées à moins de 500.000 francs. La majorité écrasante des surendettés (75%) est constituée de locataires (contre 40% des ménages français). De la même manière très peu de débiteurs surendettés disposent d’une épargne. Celle-ci n’est, en effet, présente que dans 8.2% des dossiers. Toutefois dans la moitié des dossiers, le débiteur dispose d’un véhicule. Enfin, 80% des ménages de possèdent qu’un seul de ces trois actifs patrimoniaux (résidence, épargne ou véhicule).

2- Profil d’endettement

Sur un certain nombre de points, l’enquête apporte, à l’échelle nationale, une confirmation scientifique aux observations qui avaient pu être réalisées jusqu’ici par un certain nombre de commissions. C’est ainsi que l’on observe effectivement une évolution de la nature du surendettement. Les situations de surendettement dit « passif » concernent un peu plus de 64% des dossiers. Celles-ci sont consécutives à des « accidents de la vie », au premier rang desquels on trouve une situation de chômage (26.5% des cas) et une séparation ou un divorce (16% des cas).

Autre constat : la faible proportion des dossiers constitués exclusivement d’arriérés de charges courantes. Ceux-ci ne représentent qu’à peine 6% de l’ensemble. Dans les ¾ des cas, l’endettement est mixte, constitué à la fois de charges courantes et de crédits. En outre, parmi ces dossiers, le poids des dettes bancaires représente 75% de la dette totale du ménage. Ce constat peut suggérer que les débiteurs privilégient le paiement des charges courantes. Ces dernières sont constituées à 63% des dépenses liées au paiement du loyer, à l’entretien du domicile (gaz, électricité, téléphone) et du règlement des impôts.

La part de l’endettement immobilier est en nette diminution. Seulement 15% des dossiers comportent un endettement immobilier. Cette constatation rejoint celles qui peuvent être faites pour l’ensemble des ménages français. Selon l’Observatoire de l’endettement des ménages, le taux de détention de crédits immobiliers (c’est à dire la part des ménages endettés remboursant au moins un crédit immobilier est revenu de 33.6% en 1989 à 28.6% en 2000. Pour 36% des crédits immobiliers souscrits par les surendettés, les mensualités sont comprises entre 3.000 et 5.000 francs et représentent donc une charge importante par rapport à leurs revenus.

En ce qui concerne les crédits à la consommation, les crédits « revolving » représentent une part très importante de l’endettement (80% des dossiers en comportent), suivis de prêts personnels (60% des dossiers). Cette constatation semble cohérente avec la part relativement faible de l’endettement immobilier et l’importance du nombre de débiteurs à faibles revenus. Près de la moitié des débiteurs associent deux types de crédits. Lorsque c’est le cas, 75% d’entre eux associent crédits revolving et prêts personnels, mais avec une part prépondérante pour le premier. Enfin, lorsque les débiteurs ont souscrit des crédits revolving, on en compte, en moyenne, quatre par dossier.

Environ 15% des surendettés font l’objet de poursuites (dont 65.5% engagées par des créanciers privés) qui s’exercent essentiellement sous forme de saisies des rémunérations (42% des cas) et de ventes aux enchères de biens meubles (39.3% des cas).

L’analyse précédente conduit à penser que, dans l’ensemble, les surendettés présentent des caractéristiques socio-économiques très semblables. C’est ainsi que l’on constate que le profil du surendetté est sensiblement le même selon les régions, les légères différences observées tenant plus à des caractéristiques régionales spécifiques. Par exemple, quelle que soit la zone géographique, la population surendettée comporte une majorité d’ouvriers et d’employés ; en outre, si une région compte 5% de plus d’ouvriers, l’on retrouve également 5% de plus d’ouvriers surendettés.

Une analyse par région, bien que ne constituant pas le but initial de l’enquête, a néanmoins permis de dégager certaines tendances. Une analyse plus poussée serait envisageable, notamment en approfondissant le contexte socio-économique de chaque zone. On peut, à titre d’exemple, signaler que le Nord de la France, paraît être une zone plus fragile que les autres, avec plus de couples surendettés mais également plus d’enfants à charge, plus d’ouvriers, un revenu par foyer légèrement plus élevé (plus d’allocations familiales et plus de couples) mais une part de l’endettement bancaire plus grande, liée à une souscription plus massive de prêts « revolving ».

Paris est également une zone présentant certaines singularités : beaucoup de personnes seules, un fort recours au crédit, et notamment au crédit « revolving », mais également plus de dossiers dont la dette est constituée uniquement de charges courantes et davantage de redépôts de dossiers. L’Ile de France a généralement, dans la plupart des rubriques, une position intermédiaire entre Paris et le reste de la France, mais se distingue par un poids plus important de la dette bancaire dans les ressources des débiteurs.

3- Le traitement du surendettement

D’une manière générale, les résultats constatés en matière de traitement du surendettement suggèrent que le dispositif législatif et réglementaire actuel est adapté aux types de situations décrites précédemment.

Tout d’abord, les commissions, après avoir dressé l’état d’endettement du débiteur, déterminent un « reste à vivre » et, en regard, une capacité de remboursement. L’enquête montre que les commissions doivent œuvrer avec des capacités de remboursement souvent modestes. Dans 78% des cas, celles-ci sont inférieures ou égales au montant du RMI. Une part non négligeable de débiteurs ne disposent toutefois d’aucune capacité de remboursement (27%). Quant au « reste à vivre », on observe que dans la grande majorité des cas (65%) il se situe entre 5.000 et 10.000 francs, ce qui est supérieur au minimum légal (montant du RMI majoré de 50%). Même si l’on relève certaines différences suivant les régions, les écarts n’apparaissent pas considérables et semblent pour une grande part, liés aux différences de revenus.

En ce qui concerne la phase amiable, la première observation importante est que les commissions aboutissent, à l’issue des négociations avec le débiteur et ses créanciers, à des « moratoires » pour l’ensemble des dettes dans près de 32% des cas. Ce chiffre est certainement à rapprocher de celui des 27% de débiteurs ne disposant d’aucune capacité de remboursement. Ces moratoires, dans 80% des cas, sont mis en place pour une durée inférieure à deux ans.

Conformément à la loi, les commissions proposent, lorsque cela est possible, différentes mesures de réaménagement en vue de parvenir à redresser la situation du débiteur (report, rééchelonnement, réduction du taux d’intérêt, remise de dettes, etc.). C’est ainsi que l’on constate que, dans 40% des cas, les plans mis en place s’exécutent sur une durée inférieure à cinq ans. En matière de taux d’intérêt, l’enquête révèle que les commissions parviennent très souvent à négocier soit une réduction du taux d’intérêt à un niveau inférieur ou égal au taux légal (31%), soit une suppression pure et simple de l’intérêt (41%).

En revanche, les commissions ne réussissent que très rarement à obtenir, en phase amiable, des abandons de créances. Ceux-ci ne concernent en effet que 8.4% des dossiers.

Lorsque la Commission ne parvient pas à concilier les parties, elle peut, à la demande du débiteur, recommander un certain nombre de mesures limitativement énumérées par les lois recommandations auront vocation, après avoir été soumises au contrôle du juge, à devenir exécutoires pour le débiteur et ses créanciers. Pour le débiteur reconnu insolvable au sens de la loi, ces mesures pourront prendre la forme d’un moratoire de l’ensemble des dettes puis, si sa situation n’évolue pas favorablement, d’un effacement total ou partiel de ses dettes. Les dernières recommandations (pouvant aboutir à un effacement après moratoire), fondées sur l’article L.331-7-1 du Code de la Consommation (introduit par la loi du 29 juillet 1998), sont, par commodité de langage, qualifiées « d’extraordinaire » par rapport aux recommandations « ordinaires » visées à l’article L.331-7 u même code.

Dans le cas général, l’enquête nous apprend que plus de la moitié des recommandations, dites ordinaires, préconisées par les commissions, s’exécutent sur une durée comprise entre cinq et huit ans. Cela laisse penser que les commissions font un plein usage des mesures de report et de réaménagement pour lesquelles la loi limite précisément la durée à huit ans.

De la même manière, les commissions utilisent quasi systématiquement la réduction du taux d’intérêt. Dans presque la totalité des cas (98%), celui-ci est ramené à un niveau inférieur ou égal au taux légal quand il n’est pas purement et simplement réduit à zéro (67% des cas).

S’agissant des recommandations « extraordinaires » (à savoir celles qui peuvent, à l’expiration d’un moratoire, déboucher sur un effacement de créance) proposées aux magistrats en faveur des débiteurs insolvables, force est de constater qu’elles sont mises en oeuvre par les commissions dans une proportion qui correspond au pourcentage de situations les plus difficiles constaté précédemment. C’est ainsi que ces recommandations extraordinaires représentent environ 38% de l’ensemble des mesures recommandées par les commissions.

Les moratoires de l’ensemble des dettes sont le plus souvent (40% des cas) d’une durée de trois ans, qui est la durée maximale prévue par la loi. Les moratoires très courts (inférieurs à 6 mois), qui ne sauraient concerner que des débiteurs pour lesquels aucune amélioration de la situation n’est envisageable dans un délai raisonnable, ne représentent que 10% de l’ensemble.

En matière d’effacement des créances, le nombre d’effacements représente 17% des recommandations extraordinaires et 6.5% de l’ensemble des mesures recommandé »es. Mais il convient de rappeler qu’il n’est possible d’y recourir que depuis février 1999 (et d’entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre les exclusions), et ce sans effet rétroactif. Pour apprécier plus exactement la portée de ce dispositif, il sera nécessaire de recalculer ce pourcentage à une date ultérieure, puisqu’il faut attendre que les moratoires prononcés en 1999, majoritairement d’une durée égale à deux ou trois ans, arrivent à leur terme. Néanmoins, il apparaît que, d’ores et déjà, les commissions font, dans l’ensemble, usage de toutes les possibilités offertes par la loi.

Enfin, concernant le réalisme des dispositions préconisées, au plan amiable ou judiciaire, l’enquête fait apparaître que les échecs constatés dans l’exécution des plans représentent moins de 9% des causes de redépôts, la première explication du pourcentage des redépôts (environ 30% du nombre des dossiers) étant l’expiration d’un moratoire (46% des redépôts), la seconde étant la survenance d’un événement (chômage changement dans la situation familiale) modifiant la situation sur la base de laquelle le plan a été élaboré (34%).

Jean-Luc VATIN et Sylvie PEROTTO ; Banque de France ; Direction du Réseau

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